Deux peintres, une sculptrice

Une fois de plus, une exposition à la Galerie La Primaire nous confrontera à trois démarches, dont chacune dévoilera, à sa façon, ce qui vit et agit mystérieusement à l’intérieur de quelqu’un qui se voue à l’art. Il nous est peut-être possible de rejoindre une part de leur démarche, celle qui consiste à être attentifs, admiratifs lorsque l’un ou l’autre aspect de la réalité qui nous entoure nous captive, nous surprend, nous intrigue. Mais la différence – infranchissable – vient du fait que, chez les artistes, une telle rencontre fait naître l’envie, voire le besoin, de se mettre à réagir créativement, à faire quelque chose qui exprime et donne forme à ce qu’ils ont ressenti. Vient alors pour nous le moment d’admirer l’immense diversité des œuvres qui naissent de ce besoin. Chaque exposition peut en témoigner.

La démarche qui vise à façonner une œuvre, à donner forme à un objet, à le faire exister, est, semble-t-il, surtout évidente dans la sculpture. On le constatera en voyant tout ce qui occupera cette fois-ci l’espace accordé à la sculptrice valaisanne Aude Maret. Voici ce qu’on écrit à son sujet: «Des mains d’Aude Maret émerge un univers de petites femmes expressives tout en rondeur et en mouvement.» Ces femmes expressives, l’artiste les entoure ici d’un grand nombre d’autres objets. «L’artiste aime détourner des objets insolites anciens afin de les intégrer à ses créations. Ces matières inattendues contrastent avec le grès de ses personnages. (…) L’ensemble prend un sens nouveau, dans une tension entre mouvement et immobilité.»

Mais venons-en à la peinture! Il est clair que ce qui, ci-dessus, a été dit de la relation que les artistes entretiennent avec la réalité qui les entoure, ne vaut pas pour tous les peintres. Beaucoup de peintres non figuratifs procèdent tout à fait différemment. En revanche, nous pouvons sans autre l’affirmer des deux peintres qui présentent cette fois leurs œuvres à La Primaire. On verra toutefois que leur démarche n’est, de loin, pas la même.

Jean-Marc Meyer fut professeur et chercheur à l’Université de Genève. A ce titre, il fut amené à voyager à travers le monde, à découvrir un grand nombre d’endroits, parfois insolites. Il fallut le conseil d’une amie pour qu’il accepte, un jour, de s’équiper d’une boîte d’aquarelle et de pinceaux, afin de faire des croquis un peu partout où il se rendit. De là naquit une intense activité picturale, puis une recherche de perfectionnement auprès de plusieurs artistes, dont Jean-Pierre Grélat, Marion Jiranek, Reynald Aubert. Dans son texte de présentation, il explique avec précision sa manière de travailler, du dessin au crayon ou à la plume jusqu’aux couleurs à l’aquarelle. Ses aquarelles s’étalent sur une période de vingt ans et sont le reflet de bien des endroits visités lors de nombreux voyages. Un problème, toutefois: les «impératifs du voyage» n’ont pas souvent permis au peintre de disposer d’assez de temps pour peindre directement sur le motif. Bien des tableaux sont, par conséquent, réalisés en atelier, d’après les photos prises sur place.

Différence radicale avec la démarche du second peintre, Michel Baumgartner. Habitant Troinex, «nez à nez avec le Mont-Salève», – ce sont ses propres mots -, il en a fait, avec le temps, «son sujet favori en peinture». Ce voisinage permanent, le peintre en tire parti non seulement côté «sujet», mais également pour sa manière de travailler. «Je travaille exclusivement sur le motif, j’ébauche directement à l’huile mon sujet sur la toile de lin, laissée nature ou teinte (je monte mes propres châssis). Je peins «in situ» par séances de 3 à 4 heures, parfois plusieurs jours d’affilée, selon la dimension de la toile.» Nous avons ici affaire à un peintre entièrement consacré à l’art. Deux noms lui viennent sous la plume: «A l’instar de Cézanne et la montagne Sainte Victoire ou Monet et la cathédrale de Rouen, je scrute la nature et ses changements au fil des saisons et des éclairages. C’est vraiment la lumière qui me pousse à peindre.»

Flurin M. Spescha, début février 2019