Reprise en cette nouvelle année

Avec la nouvelle année, la saison de La Primaire, riche déjà de trois belles expositions, entre maintenant dans sa seconde partie par une exposition d’une qualité qui nous paraît, à nous personnellement, tout à fait remarquable.

La grande salle, l’Espace Yves Sandrier, accueille les œuvres picturales d’une artiste d’origine italienne, Maria Lopo,mais qui est née et vit à Genève. Cette double appartenance a marqué sa trajectoire de peintre et se manifeste de toute évidence dans les œuvres qu’elle nous permet de découvrir. Sensible à la peinture dès son plus jeune âge, elle en a fait, par une décision ferme, un élément important de sa vie. Sa formation proprement dite, elle l’a acquise à l’EBAG (Ville-la-Grand), puis chez le peintre Artur Karapetian, dont les amis de La Primaire ont déjà pu voir les travaux ici même. Mais dans le texte qu’elle nous a transmis pour parler de son exposition, les mots-clé, ou plutôt: les mots-force, se détachent peu à peu de cette formation pour évoquer d’autres sources. «Mon inspiration et mon énergie créatrice sont puisées tout naturellement dans ma région d’origine: «Salento», un balcon sur la mer, hors du temps, fait de lumières changeantes. Cette région est pleine de contrastes issus des variations entre le soleil noir écrasant tout, et la douceur des jours de printemps ou d’automne, entre le ciel polychrome et la riche terre rouge et aride parsemée du vert argenté des oliviers.» Nous nous laisserons captiver par ce que ces liens à la nature de son terroir ont fait surgir de ses mains de peintre: des tableaux puissants aux couleurs pleines, saturées. A ces tableaux se joint une série de peintures acryliques sur des plaques en aluminium, d’une tout autre inspiration.

Ailleurs, dans l’espace suivant, les couleurs cèdent la place aux formes plastiques. Nous y retrouvons les travaux d’un artiste d’une tout autre provenance, qui arrive peu à peu à la fin de son long itinéraire de vie et de création: Jean Zund. Son origine est bien différente de celle de Maria Lopo,  puisqu’il est né à Diessenhofen, canton de Thurgovie, une région paisible, toute en verdure, mais appuyée sur le Lac de Constance. Très vite, il y entame une sorte de double carrière, celle qui lui assure son gagne-pain, et celle qui répond à une vocation secrète, mais tenace, celle d’artiste sculpteur. Cette dualité marquera toute sa vie. Dès ses vingt ans, il apprend le métier de marbrier. Nous avons toujours pensé que cela avait servi de tremplin pour ses créations plastiques. Une notice que Jean Zund nous a confiée il y a peu de temps nous fait remarquer notre méprise. «Malgré mon travail dans de multiples marbreries en Suisse, mon envie pour la sculpture reste insatisfaite, car marbrier et sculpteur sont deux métiers différents.» Un premier contact avec un sculpteur zurichois réputé servira de déclic. A partir de là, les deux carrières iront de pair, la sculpture animant les jours de congé. De nombreuses expositions, à bien des endroits, dont deux fois déjà à La Primaire, témoigneront de l’importance de son art. A Conches, on verra le passage qui a mené Jean Zund de la sculpture sur pierre à la sculpture en fer blanc laiton, puis, surtout, en inox. Notre plaisir à voir ses œuvres n’a jamais faibli.

Les peintures présentées dans le troisième espace sont toutes de discrétion, de retenue. L’artiste, Françoise Le Gal, vient encore d’une tout autre région, la Bretagne. Elle nous fait l’honneur d’être parmi les premiers, en dehors de son milieu proche, à découvrir ses œuvres. Elle rejoint ainsi, probablement sans le savoir, ce qui fut dès le début une des vocations de La Primaire: permettre à des peintres ou sculpteurs de faire une première rencontre avec un public. Pour Françoise Le Gal, toutefois, il ne faudrait pas y voir une démarche d’audace première. A son âge, elle sait, nous en sommes certains, ce que l’expérience de la peinture lui a permis de vivre. «La peinture, nous dit-elle, c’est prendre le temps de regarder le monde autour de soi, traduire l’instant, sa fragilité, sa fugacité.» Une leçon de vie nous attend, dont nous saurons, espérons-le, tirer profit.

Flurin M. Spescha, début janvier 2020