Reprise sous le signe de l’inattendu

Après un été à double canicule et un début d’automne à temps variable, voici, à La Primaire, une première exposition de la nouvelle saison. Nous prenons le risque de la placer sous le signe de l’inattendu. De l’inattendu à double titre. D’une part, en raison des œuvres d’un des exposants, d’autre part, en raison des trajectoires fort diverses et en partie inhabituelles de tous les trois.

Dans l’Espace Yves Sandrier, ce sont les travaux de Patrick Gaillard qui seront à l’honneur. Il s’agira d’une vingtaine de tableaux de calligraphie japonaise (SHODŌ) dont le thème est ENSŌ, le cercle du Bouddhisme Zen. Ce thème sera visible en transparence sur chaque tableau. Nous tenons ces informations de l’artiste lui-même. Il nous apprend qu’il utilise uniquement de l’encre de Chine noire et couleur, appliquée sur du papier de riz. Ces indications nous paraissent précieuses, car elles ouvrent la voie vers une esthétique rigoureuse liée à une grande tradition picturale et graphique. L’artiste, qui vit en France voisine, à La Muraz, nous permettra sans doute de citer ce qu’il dit au sujet de son amour pour cette tradition. «Mon intérêt pour la culture japonaise remonte à une quarantaine d’années, dès ma première année aux Beaux Arts de Tours. J’ai concrétisé cet intérêt par la pratique du KENDŌ, l’escrime japonaise, puis par la calligraphie japonaise.» La Primaire peut être fière de montrer le fruit de cette intense pratique de la calligraphie japonaise.

Le pas suivant va vers les œuvres de Frédéric Roman. Lire le texte que cet artiste nous a transmis à son propre sujet est déjà un vrai plaisir. Ce texte est placé sous le titre «Un cancre devenu artiste». Et il nous dit ceci: «J’ai suivi ma scolarité perdu dans mes rêves artistiques, ce qui m’a amené jusqu’aux Arts décoratifs de Genève, où j’ai acquis une formation de graphiste, métier que j’exerce encore aujourd’hui. Ce métier a tellement changé que les crayons, le papier et les pinceaux ont très vite cédé la place à la souris et à l’écran d’ordinateur. C’est pourquoi j’occupe maintenant mes loisirs entre la sculpture et la peinture pour retrouver ces sensations de mon enfance. Pour son exposition, la sculpture est laissée en attente, cédant la place à l’aquarelle. L’artiste présente entre 35 et 40 aquarelles sur le thème des carnets de voyage. «Cette technique me permet de me promener dans la nature ou dans une ville. Elle nécessite peu de matériel et me permet d’être très mobile.» Comment ne pas apprécier le plaisir de partager avec l’artiste ce qui fait toute une part de sa vie?

Troisième espace, troisième surprise. Ici, c’est bien «l’inattendu» qui domine. On sera en face des objets étonnants créés par un homme qui, dans la grande partie de sa vie, a fait tout autre chose que donner vie à ces objets. Cet homme s’appelle Arieh Lewertoff. Le goût pour des objets, de beaux objets, de préférence anciens, parfois insolites, l’a toujours habité. Il a toujours été sensible «à la beauté du design raffiné, détaillé, sophistiqué, personnalisé, pur». Mais, un jour, à ce goût vient se joindre une nouvelle démarche. Arieh Lewertoff se met à collectionner des objets anciens dans les rues de Genève, les déchetteries, les brocantes, puis vient s’y ajouter ce qu’il qualifie de «démarche artistique, qui consiste à créer des sculptures avec ces objets, les détournant de leur fonction originale. Certaines de ces sculptures s’appelleront des «animaux», d’autres des «robots bienveillants». Ces «personnages» ont, nous dit leur créateur, le regard tendre et presque humain, même si leurs yeux ne sont souvent que de vieux boulons ou cadrans de montre. Arieh Lewertoff pratique également la photographie. A Conches, on verra, à côté des sculptures, quelques photos en format A3. Les visiteurs auront l’occasion de questionner l’artiste sur sa démarche, sur l’arrière-fond de sa réflexion, autour de ses sculptures aussi bien que de ses photographies fort élaborées.

Flurin M. Spescha, mi-août 2019